mardi 28 mai 2024

Chant de la migration : poème xxxii



 Ce soir ce soir

Pour mon anniversaire

Je marcherai dans Paris

Dans Paris

Oubliant qui je suis

Je boirai tout le vin

De ce quartier latin

Je nagerai dans la Seine

Avec avec un vieux poème

Que je porte de loin loin


Je prendrai bien la main

De cette soldate blonde

Qui avait déserté

Un grand champ de bataille

Pour un rencard d’amour

Entre les jambes d'Eiffel

Je lui dirai les yeux dans les yeux :

est-ce vrai,

Tu as tué tant d’hommes

Tant d'hommes

Toi évidemment qui aimes

Tellement cet homme


Elle me répondra pas

Ce sera presque tant pis

C'est tout à fait son droit

Mais elle me sourira

Pour mon anniversaire

Ce que l’on ne comprendra pas

Je m’achèterai une tarte

Aux fraises

Ou aux prunes

Que je partagerai avec

Ces pigeons

Mes témoins 

Ma table sera garnie

De six à dix fromages

Je commanderai du Brel

Du Sardou Soprano

Je garderai pour demain

Edith et Aznavour

Je laisserai sous la table

Un pourboire qui fait peur

Et je quitterai le bar

En feignant d’oublier

De régler l’addition

On m’appellera Monsieur

Je ne répondrai pas


La conscience tranquille


Je traverserai les rues

Sans attendre les feux verts

On saura que c'est moi

C'est mon anniversaire

Que Paris m’appartient

Comme la rue Lamarre


Ce soir je ne pleurerai pas

Les indiens d'Amérique

Les âmes des négriers

Les juifs

Les arabes

J’oublierai les héros

Qui moururent pour un drap

Et tous les misérables

Des machines humaines


Car ce soir je vais naître

Dans tes bras oh Paris

Toi qui produis le pire

Aussi bien que le meilleur

Mes enfants d’Haïti

Les as-tu reconnus

Ils attrapent ta langue

Sans rancune

Mais ils portent au fond d’eux

Les meurtrissures

Que tu ne sauras effacer


Ce soir ce soir

Pour mon anniversaire

Je t'épouserai aussi Paris


Jacob JEAN-JACQUES 

Saint-Brice-sous-Forêt

26 mai 2024


Chant de la migration poème xxxi